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Appel à communication Journée d’étude du Centre de Théorie Politique de l’Université Libre de Bruxelles

Publié le 7 mars 2023 Mis à jour le 9 mars 2023

Reconnaissance et Résistance

La journée doctorale a pour but de créer un espace d’échange horizontal entre doctorant.es. C’est pourquoi il n’y aura ni keynote ni discutant.es, ce qui nous semble en accord avec les thèmes abordés. Par ailleurs, si la théorie politique est notre discipline de rattachement, les communications venant d’autres disciplines sont les bienvenues !

Comité organisateur : Laetitia de Longevialle, Luna Morcillo

Argumentaire :

Au début des années 1990, Axel Honneth (Honneth, La lutte pour la reconnaissance 2000) proposait de lire les luttes politiques en tant qu’elles étaient animées par ce qu’il appelait des « mobiles moraux ». Au travers d’une relecture du jeune Hegel, il suggérait de penser les luttes sociales et politiques comme suscitées non seulement par des questions d’ordre économique (qui était au cœur de la matrice critique marxiste) mais également d’ordre émotionnel et cognitif. La pensée de la reconnaissance, dont Honneth est l’une des illustrations les plus saillantes, se distingue donc des théories qui font de l’idéologie un écran de fumée dissimulant des intérêts économiques. Elle est en rupture avec l’idée d’un individu libéral existant indépendamment des autres dont la confrontation avec eux demanderait toujours une régulation et une limitation : la relation à l’autre serait toujours une relation nécessaire à la constitution du sujet. Cette notion de reconnaissance est donc devenue, avec Axel Honneth mais aussi avec Charles Taylor (Taylor 1994), une matrice pour penser les rapports affectifs et de représentation qui hantent la vie politique contemporaine, souvent même jusqu’à y percevoir son moteur. La notion de reconnaissance a néanmoins fait l’objet de nombreuses critiques (Fraser 2019) (Butler, La vie psychique du pouvoir 2014) et pose plusieurs problèmes qui semblent plus que jamais d’actualité.

Deux questions traverseront cette journée d’études. En premier lieu, la question de l’instance reconnaissante semble centrale. S’agit-il d’un rapport général à l’autre ou est-ce que l’État représente l’instance par excellence de la reconnaissance, comme semblent parfois le suggérer les théories de la reconnaissance ? Ensuite, se pose la question de l’existence de théories plutôt tournées vers l’acte de résistance qui ne soient pas le contre-pied d’une théorie de la reconnaissance. Peut-on parler d’une théorie de la résistance ?

Afin d’approfondir ces deux questionnements, nous proposons trois axes de réflexion. Le premier sera centré sur les controverses dans le domaine de la théorie, les deux derniers inviteront davantage - mais pas exclusivement - des recherches ayant une dimension empirique. Par ailleurs, les trois axes ne sont pas exclusifs les uns par rapport aux autres et les propositions qui combineraient plusieurs axes sont les bienvenues.

Axe 1 : Théories de la reconnaissance/Théories de la résistance :

Cet axe sera centré sur les débats théoriques autour de la reconnaissance. Il s’agira d’interroger en premier lieu la définition des théories de la reconnaissance. Peut-on parler d’un ensemble homogène ? Une autre question souvent posée par rapport aux théories de la reconnaissance concerne son rapport à une instance reconnaissante, généralement l’État. Si l’État représente l’instance reconnaissante par excellence, n’est-ce pas lui accorder un pouvoir symbolique exorbitant ? La conception hégélienne de l’État, comme totalité éthique capable d’englober l’intégralité de l’individu (au-delà du simple sujet de droit), ne suppose-t-elle pas d’imaginer l’État comme plus neutre qu’il ne l’est en réalité ? La demande de reconnaissance par l’État semble porter en elle un risque d’aliénation. Même si l’instance reconnaissante n’est pas l’État, n’y a-t-il pas un pouvoir de reconnaître différencié entre les individus en fonction de leurs statuts comme semble le suggérer Goffman dans Stigmates (Goffman 1975) ? Prenant en considération les critiques de la reconnaissance par l’État, est-il possible d’imaginer la reconnaissance comme un phénomène plus horizontal, notamment dans le cadre de contre-cultures ? Une conception interactionniste de la reconnaissance permet-elle d’imaginer des modalités d’émancipation, surtout quand il s’agit de la reconnaissance des pair.es ? D’autre part, on peut se demander si les critiques de la théorie de la reconnaissance forment une totalité cohérente. Dans ce cas, peut-on parler de théorie de la résistance ? Est-ce que la résistance à la reconnaissance est exclusivement une négation de la légitimité symbolique de l’Etat ?

Si l’Etat est au cœur des réflexions sur la reconnaissance, des théoricien.nes ont interrogé le rapport de reconnaissance comme un rapport plus large au pouvoir. Faisant un pas de côté par rapport à Hegel, Foucault et Butler vont penser la formation du sujet dans un rapport d’assujettissement à un pouvoir qui n’est jamais – seulement - localisé dans la structure étatique. Pour eux, assujettissement et subjectivation vont toujours de pair. Dans ce cas, comment penser le rapport de reconnaissance ? S’il fonde le sujet, crée-t-il toujours un assujettissement ? N’implique-t-il pas toujours une normalisation du sujet qu’il crée ? Est-il possible de penser conjointement reconnaissance et résistance à l’assujettissement ou alors est-ce que tout rapport de reconnaissance est par essence assujettissant ?

Axe 2 : Organisation autonome :

Faisant suite aux questionnements ouverts dans la section précédente, cet axe concerne plus précisément la question des gestions et organisations des groupes sociaux. Tout en gardant en filigrane une interrogation sur la possibilité et la souhaitabilité d’un évitement de la reconnaissance institutionnelle, par le biais du droit nous voudrions ici mener une réflexion sur les conditions d’une organisation autonome.

Le fait d’échapper au droit crée-t-il seulement un rapport d’émancipation par rapport à l’État ou risque-t-il de créer des situations individualisées de précarisation ? La sortie du droit fait-elle courir le risque de devoir renoncer à des moyens de résistance ? Par ailleurs, on peut se demander si la volonté d’échapper à la reconnaissance étatique ne risque d’augmenter le pouvoir d’instances moins concernées par l’intérêt commun comme l’entreprise privée ? En effet, l’institution de l’État social (Delruelle, 2020) peut permettre de protéger l’individu et de le soustraire aux forces à l’œuvre au sein du marché capitaliste. De plus, l’espace public qui permet à l’individu contemporain d’exister en tant que tel et de se socialiser est profondément pénétré de régulations étatiques (Castel & Haroche, 2001). Dès lors, n’est-il pas dangereux de renoncer au potentiel émancipateur de la reconnaissance par l’État ? On peut voir une ambigüité se dessiner. D’une part, l’État apparaît comme le lieu d’une possible émancipation. Il semble pouvoir permettre la résistance envers d’autres puissances tout en garantissant les conditions matérielles nécessaires à l’existence d’individus et de collectifs émancipateurs. D’autre part, l’autonomie vis-à-vis des institutions semble être un projet désirable pour nombre de collectifs. Comment cette recherche d’autonomie s’exprime-t-elle concrètement ? Quel est le « coût » matériel et symbolique pour les acteurs des pratiques de résistance et d’autonomie ?

Axe 3 : « Mobile moraux » et politiques d’identité :

Comment s’intègre la question de la reconnaissance avec les questions identitaires ? Quels problèmes posent la reconnaissance par l’État et par le droit des mouvements sociaux féministes, LGBT+, antiracistes, etc. ? De nombreuses critiques contemporaines de l’État ont montré en quoi il participait au déni de reconnaissance de certains groupes, voire en favorisait la stigmatisation (Pateman, The Patriarcal Welfare State 1988). Les rapports de reconnaissance qui touchent aux identités collectives sont-ils condamnés à reproduire les inégalités symboliques ? Peut-il être émancipateur pour les groupes minoritaires de se présenter comme des instances reconnaissantes ? Est-il possible de résister à la reconnaissance individualisante ou, au contraire, stigmatisante dans ses formes institutionnelles ? Poser cette question soulève aussi le problème de la mobilisation politique. La lutte pour les droits est, de fait, une dimension importante des mouvements sociaux. De plus, du fait de sa puissance pratique et symbolique, l’État apparaît comme disposant de moyens uniques pour lutter contre certaines discriminations. Dès lors, est-il pragmatique de chercher la reconnaissance institutionnelle malgré ses limites ? Ou, au contraire, serait-il émancipateur pour les groupes minoritaires de créer des instances reconnaissantes ?

Modalités de soumission des propositions :

Les résumés des propositions (maximum 500 mots sans compter la bibliographie) sont à envoyer pour le 15 mars à l’adresse reconnaissance.resistance@gmail.com. Pour tout renseignement complémentaire sur la journée doctorale, merci de vous adresser à la même adresse. Les frais de transport ou de logement ne seront pas pris en charge.

Bibliographie

Anderson, Elizabeth. Private Governement : How Employers Rule Our Lives (and Why We Don't Talk about It). Princeton University Press, 2017.

Appiah, Kwame. «The Honor Code - How Moral Revolution Happen.» (W.W.Norton and & Co) 2011.

Bartky, Sandra Lee. Feminity and domination. Routledge, 1991.

Becker, Howard S. Outsiders. Métaillé, 2012.

Bellacasa, Maria Puig de la. Politiques féministes et construction des savoirs. Editions L'Harmattan, 2013.

Berger, Peter. «On the obsolescence of the concept of honor.» Dans Revisions : Changing Perspectives in Moral Philosophy, de Alasdair MacIntyre Stanley Hauerwas, 172-181. Notre Dame, Indiana: Notre Dame University Press, 1983.

Brown, Wendy. Politique du stigmate, pouvoir et liberté dans la modernité avancée. Puf, 2016.

Butler, Judith. Contingent Foundations : Feminism and the Question of "Postmordernism". Routledge, 1992.

—. Gender Trouble. Routledge, 1999.

—. La vie psychique du pouvoir. Léo Scheer, 2014.

—. Undoing Gender. Routledge, 2004.

Carnevali, Barbara. «"Glory". La lutte pour la réputation dans le modèle hobbesien.» Communications, 2013.

Castel R., Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Folio, 1995

Castel R. & Haroche C., Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Paris, Fayard, 2001.

Clark-Parsons, Rosemary. «"I SEE YOU, I BELIEVE YOU, I STAND WITH YOU": #MeToo and the performance of networked feminist visibility.» Feminist Media Studies, 2021.

Darwall, Stephen L. «two Kinds of Respect.» Ethics, 1977: 36-49.

Delruelle E., Philosophie de l’État social, Paris: Éditions Kimé, 2020.

Dorlin, Elsa. Se Défendre, une philosophie de la violence. Paris: La Découverte, 2017.

Fanon, Frantz. Les damnés de la Terre. Paris: La Découverte, 2004.

—. Peau noire, masques blancs. Paris: Seuil, 2015.

Foucault, Michel. «La Volonté de savoir.» Dans Histoire de la sexualité. Tell, 1994.

—. «Les Anormaux.» Cours au Collège de France. 1974.

Fraser, Nancy. Feminism for the 99%. Verso, 2019.

Gavison, Ruth. «Feminism and the Public/Private Distinction.» Standford Law Review, November 1992.

Goffman, Erving. «Stigmate, les usages sociaux des handicaps.» 1975.

Honneth, Axel. La lutte pour la reconnaissance. Traduit par Pierre Rusch. Paris: Gallimard, 2000.

—. La Reconnaissance. Histoire européenne d'une idée. Paris: Gallimard.

Jhering, Rudolf von. La lutte pour le droit . Traduit par de Meulenaere O. Paris: Dalloz, 2006.

Krause, Sharon R. Liberalism with Honor. Harvard University Press, 2002.

MacKinnon, Catharine A. «Where #MeToo Came From, And Where It's Going.» The Atlantic, Mars 2019.

Marducci, Nicola. «Le pouvoir de reconnaitre. Anthropologie et représentation dans le Léviathan de Thomas Hobbes.» Dans La reconnaissance avant la reconnaissance. Archéologie d'une problématique moderne, de Théophile Pénigaud de Mourgues, Emmanuel Renault Francesco Toto. Paris: ENS Editions, 2017.

Pateman, Carole. Le contrat sexuel. La Découverte, 2010.

Pateman, Carole. «The Patriarcal Welfare State.» Dans Democracy and the Welfare State, de Amy Gutman. Princeton University Press, 1988.

Pitt-River, Julian. Honor and Shame. 1965.

Taylor, Charles. «The Politics of Recognition.» Dans Multiculturalism, de Charles Taylor. Princeton, New Jersey: Princeton University Press, 1994.

Young, Iris Maria. «Fives Faces of Oppression.» The Philosophical Forum, 1988.

Date(s)
Du 7 mars 2023 au 15 mars 2023