Conférence et séminaire de Didier Fassin à l'ULB et à l'UCL

Résumé: De Thucydide commentant la guerre du Péloponnèse à Hannah Arendt analysant les documents du Pentagone et George Orwell imaginant une novlangue pour Océania, il est établi que la déformation lexicale et l’altération sémantique sont des instruments idéologiques puissants, notamment dans le cadre de conflits. L’attaque du 7 octobre 2023 en Israël et l’opération militaire menée à Gaza dans les suites ont donné lieu à un véritable cas d’école à cet égard, non seulement dans le cadre de la communication du gouvernement israélien, ce qui est attendu, mais de la part des gouvernements des pays occidentaux, d’une partie de leurs élites et de nombreux médias, avec de surcroît une interdiction de la critique destinée à proposer une lecture alternative des faits. Plutôt cependant que de dénoncer la manipulation ou la tromperie, la conférence s’efforcera de considérer la trahison des mots et la police de la pensée qui l’accompagne dans leur double dimension productive et répressive, à la manière dont Michel Foucault travaille la question du pouvoir. Cette approche permettra, à partir d’une série d’exemples, d’analyser les enjeux politiques et moraux de ce qu’en détournant quelque peu l’expression de Ludwig Wittgenstein, on peut appeler des jeux de langage.
 
Résumé: Dans l’introduction de son livre sur la perte de la “vie juste” écrit aux États-Unis où il s’était réfugié pour échapper à la persécution nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, Theodor Adorno reconnaissait et regrettait avoir focalisé son analyse sur les désordres individuels et négligé la catastrophe collective qui se jouait dans son pays d’origine. En transformant les Minima moralia en Minima ethica, la conférence vise à déplacer la question de la “vie juste” vers celle des “vies inégales” et à rendre compte de la catastrophe qui a lieu aujourd’hui en Palestine. La guerre à Gaza oblige en effet à penser à nouveaux frais l’inégalité des vies, en termes à la fois quantitatif et qualitatif, à la fois d’existences qui ne sont pas dignes d’être racontées et de morts qui ne sont pas dignes d’être pleurées. Cette relecture oblige alors à analyser les raisons pour lesquelles le monde - et particulièrement le monde occidental en ce qu’il se prévaut de valeurs qu’il présume universelles - a non seulement consenti à l’oblitération de tout ce qui pouvait signifier la vie à Gaza mais a également soutenu l’entreprise criminelle qui la perpétrait.